Archives de catégorie : Analyse de Cycle de Vie

Une « Grande Première Mondiale » pour les TIC!

ACV Parc Informatique – Recyc-Québec 2011

ACV Parc Informatique – Recyc-Québec 2011

Jusqu’ici, j’ai tenté de ne pas aborder le thème le plus en vogue lorsqu’on parle de TIC et de développement durable : la fabrication et la fin de vie de votre matériel informatique. Pourquoi? Parce que c’est automatiquement l’association que tout le monde fait, entre TIC et développement durable. Pourquoi? (Oui, je sais, je répète 2 fois « pourquoi »!) La fabrication, mais surtout la fin de vie de votre matériel informatique est quelque chose de tangible, de palpable, donc facilement assimilable à développement durable. Un petit exemple qui illustre bien la chose : le Centre Francophone de Recherche en Informatisation des Organisations, ou CEFRIO (dont le sous-titre est Innover par les TIC), n’a qu’un item sous sa rubrique Développement Durable [Mise à jour janvier 2014: le site du CEFRIO a maintenant une nouvelle image depuis la publication de cet article, et le sous-titre est dorénavant L’Éxpérience du Numérique], et il discute de la stratégie américaine de gestion des déchets électroniques. Si on fouille un peu sur leur site, on pourra découvrir d’autres articles visant le développement durable, mais pour cela, plus d’un « clique » de souris vous seront nécessaires. Je constate positivement par contre que certains sujets que le site aborde sont dans une pensée de développement durable, même s’ils n’ont pas été identifiés comme tels. Et pour conclure l’exemple du CEFRIO, il n’aborde pas le thème du développement durable dans son rapport annuel 2011. Cet exemple est un reflet de l’état des lieux du développement durable et des TIC, et nous démontre qu’il y a beaucoup d’espace à l’amélioration et au changement, ce qui est positif (du moins, pour ma pratique)!

Retour au sujet du jour : la fin de vie de vos ordinateurs. J’ai déjà abordé cette question de façon détournée, en discutant de la pertinence d’acheter un ordinateur remis à état. Je vous présente cette fois une analyse de cycle de vie visant la comparaison de 2 scénarios de fin de vie d’un parc informatique (scénario remis en état et scénario recyclage), produite par le CIRAIG en 2011 (vous la trouverez ici ou ici, sur le site d’Insertech). Connaissez-vous le CIRAIG? Lorsque vous pensez analyse de cycle de vie (ACV), vous pensez CIRAIG. C’est un des grands centres universitaires dédiés à ce domaine, et il est à Montréal. Pas pour rien qu’on en parle souvent! Mais ce qui rend ce rapport des plus innovateurs, c’est que l’ACV a été combinée à une analyse sociale de cycle de vie du Groupe AGÉCO, ce qui est peu fréquent. L’AsCV est un sous-ensemble en développement, avec peu d’outils. Je suis personnellement formée sur l’AsCV et c’est une façon toute différente d’aborder les choses. Donc un grand Bravo pour cette initiative! Recyc-Québec, commanditaire de l’analyse, la décrivait d’ailleurs comme une « Grande Première Mondiale », ce qui me semble tout à fait juste.

Lire un rapport d’analyse de cycle de vie demande un certain niveau de connaissance, ne serait-ce que pour bien comprendre la méthodologie et son vocabulaire spécifique (par exemple, frontières du système, unité fonctionnelle, etc.). Vous pouvez tout de même lire le sommaire exécutif en vous référant au besoin à la définition de certaines abréviations en page XV. Mais en gros, l’analyse démontre qu’il est avantageux de remettre en état des ordinateurs :

  • l’analyse effectuée portait sur un parc informatique provenant d’entreprises et non d’ordinateurs provenant de particuliers, ce qui exclut le scénario que le parc en entier se retrouve dans un lieu d’enfouissement technique (LET);
  • pour 1000 ordinateurs envoyés au reconditionnement, on obtient 704 ordinateurs remis en état (certaines pièces seront irrécupérables, donc recyclées);
  • la durée de vie d’un ordinateur remis en état est établie à 3 ans (au lieu de 4 ans pour un ordinateur neuf);
  • des 704 ordinateurs remis en état et vendus à des particuliers, 3 scénarios de fin de 2e vie sont alors envisagés : 0%, 50% ou 100% des ordinateurs seront recyclés par les particuliers (donc 100%, 50% ou 0% se retrouveront dans un LET, au lieu d’être recyclé);
  • l’AsCV porte principalement sur l’impact de la filière de remise en état d’un parc informatique par des entreprises telles qu’Insertech Angus ou des CFER (Centre de Formation en Entreprise et Récupération)

En attendant mes prochains billets qui aborderont d’autres aspects liés au cycle de vie de votre matériel informatique, j’espère que, tout comme moi, vous serez maintenant plus conscient de l’impact de la fin de vie de vos produits, tout en ayant une certaine fierté d’avoir lu un rapport d’analyse de cycle de vie qui inclut aussi le pilier Social du développement durable!

L’édition électronique : arrêtons de voler des rêves

Me voilà à nouveau, après une petite pause… Cette fois, c’est avec un sujet que j’ai croisé déjà à quelques reprises ces dernières semaines lors de mes lectures : le droit d’auteur, la transparence chez les éditeurs et les libraires, etc., tout ça dans un contexte des TIC. Ce qui me motive à en parler aujourd’hui, c’est que « tout le monde en parle », depuis que Seth Godin s’est vu refuser l’accès à la librairie virtuelle d’Apple pour son nouveau livre Stop Stealing Dreams. La raison : son livre numérique contiendrait des liens vers le site d’Amazon…

Souvent moins cher que sa version papier, le livre numérique vous donne accès à une panoplie de livres, dans le confort de votre foyer. Plus besoin de se déplacer : quelques cliques et vous pouvez vous plonger dans vos lectures. Son impact environnemental n’est pas très clair par contre, surtout lorsqu’on regarde un cycle de vie complet, qui considère la vie utile de votre liseuse électronique, et la durée que l’on soutire d’un livre papier (on peut le revendre, le donner à son entourage, etc.). Un avantage des livres numériques : l’accès gratuit aux livres libres de droits d’auteur (les « classiques »!). Le Projet Gutenberg, dans une pensée de type contenu libre (ou OpenContent), vous offre différents formats de livres numériques libres de leurs droits. Ces livres, en version papier, vous seraient un peu moins accessibles… Il y a donc beaucoup de raisons à prendre la voie du livre numérique (et la « voix » aussi, puisque la fonction de conversion texte-parole – text-to-speech – des liseuses électroniques vient en prime, amenant de nouveaux conflits(1)), et pour cela, le support des TIC est essentiel. Mais encore faut-il que l’indépendance du libraire virtuel demeure…

Parallèlement aux péripéties récentes de Seth Godin, une autre histoire de « fermeture » de la part d’Apple : la licence d’utilisation du logiciel iBooks Author, lancé en janvier dernier. Ce logiciel gratuit permet de créer du contenu (livres, manuels scolaires, etc.) qui, une fois publié, sera accessible via l’application iBooks. Le livre ainsi créé pourra aussi plaire aux utilisateurs du iPad puisqu’ils pourront profiter de contenus riches. Jusque-là, tout semble très beau. Mais voilà, il y a un « catch » : si vous comptez vendre votre livre, alors là, le EULA (pour End-User License Agreement) pourra vous surprendre (et le mot est presque faible…) :

if your Work is provided for a fee […], you may only distribute the Work through Apple and such distribution is subject to the following limitations and conditions: […]; and (b) Apple may determine for any reason and in its sole discretion not to select your Work for distribution. […] Apple will not be responsible for any costs, expenses, damages, […] losses including without limitation the fact that your Work may not be selected for distribution by Apple.

Si je résume : vous travaillez sur votre livre, vous utilisez l’outil iBooks Author (pour l’écrire, en faire la mise en page et le rendre accessible), vous pouvez alors publier ce livre QUE sur la boutique d’Apple et Apple se réserve le droit de vous refuser cet accès, et se dégage de toute responsabilité. Début février 2012 (soit moins d’un mois après le lancement initial), une nouvelle version (1.0.1) de l’application est disponible. Cette version ne modifie qu’une chose soit le EULA, qui clarifie certains aspects, mais n’élimine pas les restrictions de publication dans le format .ibooks(2) (vous trouverez ici des réponses aux questions fréquentes). Comme un blogueur mentionnait (il a pris le temps de lire le EULA…) : c’est comme si Microsoft demandait des droits d’auteur sur chaque présentation que vous faites avec Microsoft Office PowerPoint… Et comme d’autres l’ont mentionné, vous pouvez toujours utiliser autre chose pour vos publications… Bref, ça chauffe!

Et les TIC là-dedans? La distribution de livres numériques ne pourrait se faire sans le support des TIC. Les infrastructures requises ne sont pas si simples que ça à mettre en place, ce qui constitue une barrière à l’entrée. Et ce n’est pas votre libraire du coin qui peut développer sa liseuse électronique unique ou son logiciel d’édition, constituant une autre barrière. Doit-on alors s’inquiéter de la dépendance aux éditeurs (voir l’exemple du iBooks Author) et aux libraires (voir l’exemple de Seth Godin)? La réponse n’est pas si simple. Dans une perspective de développement durable, avec son pilier social, son concept de transparence et de dialogue avec les parties prenantes, est-ce qu’on peut prétendre à l’adoption de ces principes lorsqu’on regarde ces 2 exemples? Sans le vouloir, le titre du livre de Seth Godin répond peut-être à cette question : Stop Stealing Dreams (Arrêtons de voler des rêves)…

À bien y penser, ce sujet est sans fin et devrait faire l’objet d’une thèse et non d’un billet de quelques centaines de mots… D’ici là, sortez vos vieilles machines à écrire, et vous pourrez toujours télécopier votre ouvrage à vos amis(es)!

(1) Intéressant la controverse au sujet de la fonction texte-parole du Kindle 2! Pour plus d’info, le point de vue de Lawrence Lessig PhD, et celui de Roy Blount, président du Authors Guild.

(2) Tout aussi intéressant de savoir que le format .iBooks est basé sur le format ouvert ePub. Ici pour comprendre ce qui est considéré comme un sabotage.

L’achat d’un ordinateur remis en état : est-ce toujours la meilleure solution?

Vous souvenez-vous de l’ère du portail web en 2 versions : haute-vitesse et « l’autre »? C’était l’heureuse époque où les consommateurs rejoignant l’internet par ligne commutée (traduction : le bon vieux « dial-up ») pouvaient encore demeurer devant leur ordinateur pendant qu’ils accédaient à leurs données. Maintenant, ces consommateurs doivent aller se faire un café (ou plusieurs) avant de voir apparaître le premier fragment d’information lors de la visite d’un site web. C’est que ces sites sont maintenant très chargés et que pour les consulter, l’utilisation d’un modem sur ligne téléphonique n’est plus une option(*). On a beau avoir l’ordinateur le plus puissant du monde, le plus petit dénominateur commun demeure dans ce cas la connexion internet, et une connexion trop lente ruine l’expérience de l’utilisateur.

Ceci m’amène au sujet du jour : les ordinateurs et le recyclage en vue de leur réutilisation. À regarder la pyramide de la gestion des déchets (en référence au 3RV), on constate que la réutilisation est plus proche du « souhaitable » que l’élimination, et c’est tant mieux. Des entreprises se spécialisent d’ailleurs dans la remise en état d’ordinateurs, en y apportant certaines mises à jour à la fois matériel (augmentation de la mémoire RAM par exemple) et logiciel (installation d’une version récente du système d’exploitation). Ceci permet de donner une seconde vie à ces ordinateurs qui peuvent encore offrir quelques années de bons services.

Mais est-ce toujours une bonne idée de se procurer ces ordinateurs remis en état, pour des besoins personnels? Je pose la question en revenant à mon analogie du « dial-up ». Il est maintenant évident que les systèmes d’exploitation, les logiciels, et l’accès à des sites web de haut niveau demandent à ce que les ordinateurs soient de plus en plus performants. On peut n’avoir aucune donnée conservée localement sur son ordinateur (elles seraient alors sauvegardées dans le Nuage), mais on ne peut les accéder (ou du moins, difficilement) que si notre ordinateur rencontre la performance minimale requise. Le matériel est donc intimement lié au logiciel, et sans dire qu’ils doivent se suivre au millimètre près, ils ne peuvent être décalés de trop. Afin de répondre à nos exigences applicatives, les logiciels que nous utilisons demandent maintenant des prérequis matériels appropriés (RAM, CPU, etc.). L’achat d’ordinateurs remis en état pour alors s’avérer être une erreur, selon nos besoins. Évidemment, il y aura toujours une clientèle qui, pour des besoins occasionnels (jeux pour enfant, accès internet modéré, lecture de courriel, traitement de texte, etc.), n’a pas besoin de toute la puissance d’un ordinateur récent, pourvu que ce dernier soit équipé de logiciels appropriés, par exemple en évitant l’installation de la dernière version d’Office, qui pourrait être trop « lourde » pour les capacités de l’ordinateur.

Heureusement, la rapidité des changements matériels et logiciels devient de moins en moins perceptible pour l’humain (est-ce vraiment utile d’avoir une microseconde de meilleure performance lorsqu’on utilise un logiciel de traitement de texte?), ce qui nous permet de conserver nos ordinateurs personnels plus longtemps sans être pénalisé en termes d’expérience utilisateur. Encore là, cela dépend de nos besoins (les joueurs de jeux vidéo voudraient par exemple maintenir une performance maximum), et ceci n’inclut pas les ordinateurs de type serveurs qui eux tirent avantage à suivre la loi de Moore afin d’augmenter leur capacité et ainsi faire plus (de traitement de données) avec moins (de serveurs, donc économie à l’achat, en énergie, etc.).

Il n’y a donc pas d’équation parfaite. La solution pourrait être dans la « Réduction » : acheter un ordinateur aujourd’hui et le conserver beaucoup plus longtemps… Peut-être est-ce le temps de monter d’un cran dans la pyramide des 3RV?

* Sachez que selon des statistiques récentes, AOL aurait encore 3.5 millions d’abonnés à la connexion « dial-up ».

PS : Mon ordinateur aura bientôt 3 ans, et je ne planifie pas le changer puisqu’il satisfait toujours mes besoins… J’espère seulement que sa vie utile sera à la hauteur!

TIC en papier pour le Nouvel An chinois

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Crédit: Jess Silverstone. Ici pour le mode d’emploi

Il semble que les TIC en papier ont la cote pour le Nouvel An chinois! Les offrandes pour l’Hommage aux ancêtres ont pris le tournant du 21e siècle, et se traduisent maintenant par des produits tels que des iPads ou des téléphones mobiles, en version carton/papier.

Encore ici, il faudrait faire une analyse de cycle de vie pour évaluer les impacts entre les gadgets réels et leur version carton. Bon, d’accord, je ne dis pas cela sérieusement…

Bonne année!

CES 2012 : Prix innovation, catégorie Eco-Design and Sustainable Technologies

J’aimerais amener aujourd’hui le sujet de Cycle de Vie de produits. C’est en feuilletant (virtuellement, sur mon iPad) les produits du CES 2012 que j’ai eu mon « eurêka moment » : un des produits honorés est-il vraiment vert?

On connait bien certains paradoxes : si une voiture électrique est alimentée par une source électrique provenant d’une centrale au charbon, est-ce vraiment un meilleur choix qu’une voiture à essence? Si votre tomate d’hiver pousse dans une serre québécoise, est-elle un meilleur choix qu’une tomate importée d’un pays où la chaleur et le soleil sont au rendez-vous toute l’année? Seule une analyse de cycle de vie de ces produits pourrait nous offrir une réponse avec justification.

Le produit dont il est question est un étui solaire de SolarFocus Technology Company Ltd pour votre Kindle, qui permet une recharge du Kindle et de le protéger du même coup. Il a été sélectionné dans la catégorie Eco-Design and Sustainable Technologies [Mise à jour janvier 2014: la liste 2012 de ces prix n’est malheureusement plus disponible]. Il se décrivait comme

Not only the epitome of GREEN, but also provide consumers with utility for powering their Kindle while « On the go ».

Wow, « epitome of GREEN » (que l’on pourrait traduire par un modèle environnemental), vraiment?

Si l’on regarde la page des spécifications pour ce produit (en date de la publication de cet article), on ne retrouve qu’une fois le terme Environnement (« The first solar book cover for the Amazon Kindle e-reader takes an environmentally friendly approach to enhancing form and utility. »), et une fois le terme Vert (« Show-off Your “Green” Gadget Everywhere You Go »). Et ce sont à peu près les seules prétentions environnementales décrites. Plutôt mince…

Pourquoi ai-je un problème avec ce produit? Sa fonction est un étui protecteur (aucun problème avec ceci), où l’on a intégré un panneau solaire permettant la recharge du Kindle sans avoir à le recharger de façon conventionnelle. Le panneau solaire remplace alors l’électricité utilisée lors d’une recharge, et seule une analyse de cycle de vie pourrait nous éclairer sur la prétention verte entre les impacts liés à la fabrication, utilisation et disposition du panneau solaire et les avantages qu’il offre sur la consommation d’énergie pour la recharge du Kindle. L’intégration d’un panneau solaire a d’autres avantages de type utilitaire : une plus grande autonomie dans l’usage du Kindle avant qu’une recharge conventionnelle ne soit nécessaire. Ici, on ignore la fonction du Kindle lui-même (celle du e-book) car ce n’est pas la fonction de l’étui (l’étui existe à cause de l’existence du produit Kindle).

Un autre facteur à considérer est la durée de vie du produit. L’étui en question est conçu exclusivement pour un seul produit (l’étui est moulé pour prendre la forme d’un modèle de Kindle), ce qui lie sa durée de vie à la vie du Kindle en question. Est-ce une bonne approche d’éco-conception? Qu’arrivera-t-il lorsqu’un nouveau modèle de Kindle aux dimensions différentes sera disponible? Les étuis précédents deviendront obsolètes? Quelle est la durée de vie programmée du Kindle (celle où le produit est rendu obsolète par l’arrivée de nouveaux produits plus performants et attirants)? Je serais prête à gager que la durée de vie réelle est plutôt courte…

J’avoue avoir lancé plus de questions que de réponses, n’ayant pas de données pure et dure. J’avoue ne pas avoir couvert d’autres aspects liés au Kindle et son étui. Voilà justement où se joue la communication verte : avec le peu d’information sur ce produit, j’ai peine à croire qu’il pouvait se qualifier dans la catégorie Eco-Design and Sustainable Technologies. Mais voilà tout le débat autour des gadgets présentés au CES.