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Brevets, TIC et « what’s right »
Article très intéressant de Steven Levy du magazine Wired traitant du « problème » des brevets à l’ère des technologies de l’information. Vous pouvez le lire ici, mais aussi suivre une série de commentaires qui sont tout aussi intéressants. Je ne tenterai pas dans ce billet de vous résumer les enjeux, le « what’s wrong », ou vous retranscrire l’histoire de M. Medina et de sa compagnie coquille-vide qui tente de poursuivre quiconque publiant un site Web, pour entrave à ses brevets (M. Medina détient une série de brevets qui portent tous le même titre très descriptif : Information processing methodology (1)). Il faut que ça change, et pour cela le United States Patent and Trademark Office (USPTO) lançait un appel à tous en début d’année afin d’aider les autorités dans l’amélioration des processus d’évaluation de brevets visant les logiciels (les softwares, et qui dit « soft », dit difficile à juger). La première table ronde se tenait hier, à Stanford en Californie.
Un point de l’article de M. Levy(2) m’a fait sérieusement sourire, et ce sera le sujet de ce billet. Citant le cas de Twitter, certaines compagnies optent pour une gestion saine de leur portefeuille de brevets en se donnant l’obligation de consulter une partie prenante importante : les auteurs d’un brevet. Même si Twitter détient les droits absolus du brevet X, il ne s’autorise pas à poursuivre une entreprise sans l’approbation au préalable des auteurs du brevet. C’est comme si Twitter se dotait d’un comité de censure : si les auteurs jugent que Twitter n’utilise pas d’arguments valables pour poursuivre une compagnie, déviant ainsi de la nature du brevet X, Twitter n’ira pas de l’avant. Ainsi, les poursuites farfelues seront mises de côté. Cette initiative, le Innovator’s Patent Agreement, est parfaitement ancré dans une politique de développement durable. L’une des séries d’indicateurs du Global Reporting Initiative (GRI), les indicateurs de Société, vise justement les impacts qu’une entreprise peut avoir sur les marchés dans lesquels elle opère et sa relation avec les institutions. Dans une politique de transparence, le rapport de développement durable d’une entreprise se devra ainsi de décrire les poursuites et ses effets liés à des brevets ou autres.
L’un des enjeux du problème actuel des brevets : ces compagnies vides, aussi appelées des Patent Trolls, qui ne produisent rien, mais qui détiennent les droits sur des brevets, n’ont rien de « durable » puisque leur seule raison d’être est de faire respecter leur propriété à coup de poursuites souvent abusives. Il serait intéressant d’évaluer si ces compagnies publient des rapports de développement durable, et dore et déjà, on peut en douter!
(1) Vous pouvez lire ces brevets en accédant ce site, et en inscrivant comme mots de recherche « Medina » et « Mitchell » dans le champs « Inventor Name »
(2) La citation en question de l’article du Wired va comme suit :
Some companies, meanwhile, are taking individual moral stands against weaponized patents. Twitter recently introduced the Innovator’s Patent Agreement. It grants its employees some control over the patents that bear their names. This means that Twitter can’t file an infringement suit unless the original inventor gives permission—even if the company changes hands or sells off the patents. It may cost Twitter a bit in licensing fees, but it has helped the company in other ways; legal counsel Ben Lee says that its recruiters are already reporting that the program makes Twitter more attractive to prospective hires.
Implantation de nouvelles technologies: Hydro-Québec fait face à ses parties prenantes
Un aspect du développement durable qui fait maintenant partie du paysage est la gestion des parties prenantes (PP). Qu’est-ce qu’une partie prenante? Simplifié, c’est un individu (groupe, organisme, etc.) qui est concerné par votre entreprise, ou qui est perturbé par les activités de cette dernière. Plusieurs typologies ont été développées afin d’identifier et « classer » des parties prenantes. Une d’entre elles, simple et efficace, se nomme le modèle de Mitchell. On a qu’à répondre à 3 questions : l’acteur a-t-il du Pouvoir? De la Légitimité? Est-il dans l’Urgence? Avec un seul OUI, on fait face à une partie prenante.
La notion de parties prenantes implique la reddition de compte par l’entreprise. Et les technologies de l’information se sont développées d’une façon telle que nul ne peut dorénavant ignorer la puissance des médias sociaux par exemple. Les individus, les groupes de pression, les médias, tout ce beau monde ont maintenant accès à des plateformes de blogues, des pages Facebook, des fils Twitter, etc., rendant chaque geste d’une entreprise vulnérable à la réplique immédiate. D’où l’importance de ne pas ignorer ses PP et de participer au dialogue.
Un des meilleurs exemples de mauvaise gestion des PP (et qui sera très certainement élevé au rang de « cas » dans les grandes écoles d’administration) est celui des gaz de schiste. Malheureusement pour moi, rien à voir avec les TIC. Donc merci à Hydro-Québec qui cette semaine m’aura livré un sujet lié aux PP. Je parle ici d’une nouvelle technologie testée lors d’un projet pilote, et qui ne fait pas l’unanimité : une nouvelle génération de compteur (je dois admettre que la portée du dossier Hydro-Québec n’est pas la même que celle des gaz de schiste…). Quel est le lien avec les TIC? La transmission et la gestion de données. Quoi qu’au départ, le sujet de la sécurité des données ait fait jaser, c’est maintenant la transmission de ces mêmes données et sa participation à la pollution électromagnétique (aussi nommé l’électropollution) qui amène à réflexions. Sur son site web, Hydro-Québec informe sa clientèle sur ce sujet, mais malgré tous ses efforts, des parties prenantes se mobilisent. Où est la faille?
La motivation des nouveaux compteurs provient d’un besoin : une forte proportion des compteurs ont ou vont atteindre la fin de leur vie utile. Quelques atouts pour les clients sont discernables (voir la section Quels sont les avantages pour moi ?). Comme consommateur, on comprend qu’il faut renouveler le parc de compteurs « à un moment donné », mais que si ces derniers amènent des questionnements sur la technologie sélectionnée, et que les avantages visibles pour le consommateur ne sont pas des plus attrayants, là, il faut « gérer ». Hydro-Québec a-t-elle vraiment consulté ses parties prenantes sur ce dossier? A-t-elle vraiment ouvert un dialogue? Selon la typologie de Mitchell, les groupes de pression impliqués, tels que l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), ont certainement un sentiment d’Urgence et de Légitimité. Et ils utilisent un certain pouvoir à mobiliser les médias envers leur cause. C’est la totale.
Hydro-Québec a fait une communication plutôt classique : information sur son site web et via sa brochure HydroContact [2012-10-07 – cette brochure ne semble plus être publiée depuis le printemps 2012], etc. Par contre, on ne sent pas qu’elle a bien géré les revendications des parties prenantes (citoyens et employés syndiqués) qui sont en désaccord avec le déploiement massif de ces nouveaux compteurs. Ici, je ne jugerai pas de la validité des arguments des uns et des autres puisque ce billet se veut une interrogation sur le dialogue avec les parties prenantes et la gestion du changement, peu importe les conditions. Son rapport de Développement Durable 2011 n’étant pas encore disponible, attendons alors sa sortie afin de valider comment Hydro-Québec s’évaluera sur les indicateurs liés à sa relation avec ses parties prenantes. Pour ce qui est du rapport 2010, il ne comportait qu’un petit paragraphe au sujet des compteurs à la page 35 (puisque l’installation dans le cadre du projet pilote s’est déroulée en 2011), et rien à propos des parties prenantes dans ce dossier. Petit rappel : un rapport de Développement Durable suivant le cadre du GRI doit aborder le sujet des parties prenantes.
En conférence de presse plus tôt cette semaine, la présidente d’Hydro-Québec Distribution, Isabelle Courville, semblait consciente qu’un changement technologique amène des préoccupations de la population, mais elle a, à mon sens, fait une erreur de type « pelleter le problème par en avant » lorsqu’elle a repoussé le dialogue à plus tard : « Et à ce moment-là [lors de la présentation à la Régie de l’Énergie], je suis sûre qu’on trouvera des solutions pour des cas qui resteront extrêmement marginaux, j’en suis certaine. ». Pourquoi ne pas gérer la situation dès maintenant, alors que le projet en est à l’étape du projet pilote? Hier, j’apprenais un petit détail lors d’une entrevue à Radio Canada avec Mme Courville (à 7:28 de l’entrevue) qui m’a éclairée sur l’impasse : la technologie sélectionnée demande à ce que les compteurs soient en série, en chaine si l’on veut. Et si j’ai bien compris, cela rend impossible à un résident de refuser l’installation, au prix de « casser » la chaine. Appelons ça le phénomène des lumières de Noël. Juste ce petit détail et je comprends mieux la problématique : Hydro-Québec ne veut/ne peut pas changer sa technologie sélectionnée. Et c’est là l’enjeu : le dialogue doit s’ouvrir dès maintenant, sans plus tarder, afin que toutes les parties (entreprise incluse) en arrivent à une entente, et que le passage à venir devant la Régie de l’énergie devienne qu’une formalité. Je vais garder un œil intéressé sur ce dossier, c’est certain!
PS : Je vous laisse quelques liens concernant les arguments des uns et des autres.
La Presse – Compteurs intelligents d’Hydro-Québec: aucun risque pour la santé
Protègez-vous – Nouveau compteur d’Hydro-Québec: trop cher?
MAJ Février 2013 :
Les liens de ce billet vers le site d’Hydro-Québec semblent changer à tous les quelques mois, donc désolé s’ils sont obsolètes au moment de votre lecture, je tente de « suivre les changements » lorsque cela est possible.